"J’aime la vision libertarienne qui est de laisser chacun tranquille. Même enfant, j’étais agacé par les gens qui voulaient dire à tous les autres comment ils devaient vivre." Clint Eastwood

"En résumé, quiconque est capable de parvenir à se faire élire président ne devrait à aucun prix être laissé libre d'exercer cette fonction."
Douglas Adams (H2G2, II)

Vous avez inventé un nouveau produit, il est formidable, largement meilleur que ceux de vos concurrents dont beaucoup ne veulent plus. C'est le succès assuré. En effet, très vite, le nom de votre produit devient synonyme de quelque chose de positif, de bien. Mais vos concurrents, soutenus par le pouvoir politique, décident de reprendre votre dénomination : la presse désigne maintenant leurs produits par votre nom. Au début tout le monde est un peu perdu, mais avec le temps, et la puissance de la propagande, vous vous faites voler votre nom. Pire, celui-ci, maintenant totalement associé aux produits de vos concurrents, est tellement dévalorisé qu'il est devenu une insulte usuelle. Vous devez en trouver un autre, et recommencer votre marketing à zéro. Bien sûr, ça marche (votre produit répond mieux aux besoins des clients), mais ça vous demande des efforts, de l’argent, et du temps. Et quand enfin vous commencez à y parvenir, quand votre nouveau nom commence à être connu, un de vos concurrents à fort pouvoir médiatique fait savoir qu'il est nécessaire de le voler pour que ses produits à lui puissent bénéficier de son image positive. Vous le prenez comment ?

Si vous trouvez cette histoire irréaliste, improbable, voire tirée par les cheveux, vous n'avez que partiellement raison. Il n'y a en effet que peu de chances qu'un produit vendu voit son nom ainsi récupéré... mais c'est bien ce qui est arrivé et continue d'arriver à une philosophie. Une philosophie du Droit née au cours de l’histoire qui a connu tellement de succès que ceux qui s'y opposaient ont fini par s'approprier son nom afin d'en récupérer la bonne réputation. Une philosophie qui a dû se renommer, et qui, quand son nouveau nom a commencé à se faire connaître, a vu des Politiciens influents affirmer qu'ils devaient se l'attribuer. Cette philosophie c'est le « libéralisme », qui aux USA a été récupéré par ceux qui défendent son opposé, a donc été renommé « libertarianisme » par ses partisans, nouveau nom que des Politiciens anti-libéraux veulent maintenant récupérer.

La raison de ces récupérations successives est facile à comprendre, non seulement le libéralisme est une philosophie qui « marche », dans le sens que plus un pays s'en rapproche plus il est riche et attractif, mais qui aussi et surtout s'oppose frontalement à ce qui motive certains Politiciens (pas tous) : le pouvoir de l'élite sur le peuple. Le libéralisme prône la liberté individuelle contre les coercitions : si vous vous rêvez dictateur ou sauveur de l'humanité, ce n'est vraiment pas la philosophie que vous voulez voir s’épanouir.

La civilisation, c'est utiliser une pince à sucre même quand on est seul

En effet, contrairement à ce qu'on lit maintenant de plus en plus, le libéralisme n'est PAS une pratique économique, MAIS une philosophie du Droit. Son principe est simple : chacun est propriétaire de lui-même et de ce qu'il produit et est donc libre de l'échanger de manière non forcée (on ne peut voler la propriété d'un autre).

Philosophie du Droit, le libéralisme exige bien sûr de nombreuses conditions pour être appliqué, la plus importante étant la mentalité des personnes composant la société : si vous êtes le seul à prôner le respect de la propriété des autres et que tout le monde vous vole tout, vous vous en sortez comment ? Pour que le libéralisme fonctionne il est nécessaire que chacun respecte la liberté et la propriété des autres.

Heureusement, deux tendances psychologiques sélectionnées par l'évolution nous y aident. La première est la culpabilité. On distingue en effet deux types de cultures : celles basées sur la honte, où la régulation sociale se fait par la peur du regard des autres, où la réputation et l’honneur prévalent sur tout le reste, et celles basées sur la culpabilité, interne, où la personne se punira elle-même si elle ne respecte pas les règles. Ce n'est pas pour rien que le libéralisme est né en Europe et notamment en France : la sélection naturelle des siècles précédents (dont les effets de la Grande Peste) y avait promu une culture très fortement basée sur la culpabilité. La seconde est la variation naturelle sur l'Axe du contrôle (Neuromonaco 31) : tout le monde n'a pas besoin de contrôler, de diriger la vie des autres, certains (et ils sont nombreux) sont capables de laisser chacun vivre sa vie (on trouve un lien positif avec le QI).

Des facteurs non psychologiques ont aussi de l’importance. Par exemple nous avons déjà vu (Billet Éco 4) que sa petite taille impose de ne pas considérer Monaco seulement comme un pays, qui demande le plus de libéralisme possible, mais aussi comme une entreprise, qui a plus besoin d’un objectif commun, d’une gestion dirigée.

Le point essentiel est que le libéralisme n'a pas besoin d'être appliqué de manière absolue pour avoir des effets positifs sur un pays. L'Europe, où il est né, a certes bénéficié de conditions évolutives particulières qui ont permis son éclosion, mais tous les autres pays de tous les continents où il a été plus ou moins essayé ont montré la même amélioration : il n'est pas un privilège réservé à une petite fraction de la population mondiale. En termes marketing, le Libéralisme est à une extrémité d’un axe de segmentation, à l’opposé de l’Étatisme (ou Totalitarisme) ; c’est un continuum sur lequel chaque pays peut se positionner en fonction de ses contraintes. Mais toute réduction du libéralisme a un coût qu’il faut prendre en considération, il y a toujours « ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas » (Base Éco 1) : un équilibre doit être trouvé.

Manipulation

Le terme libéralisme n'a pas encore subi le même renversement de sens en français qu’en américain, mais l’évolution est en cours, déjà on s’y perd, et il est souvent plus prudent de bien préciser « au sens français », voire d’utiliser « libéralisme classique », pour le premier. En effet, si on interroge la population générale sur sa signification, on trouvera souvent de grandes confusions entre les deux. Pire : beaucoup croient que le terme libéralisme ne désigne que l’alliance incestueuse entre le pouvoir étatique et les plus riches, or si celle-ci est bien une conséquence du « libéralisme au sens américain » (c’est le « Capitalisme de connivence » : « Crony Capitalism »), elle s’oppose totalement au « libéralisme classique ». Et les néologismes qui ont été créés ne nous aident que peu : si « néo-libéral » est censé globalement correspondre au sens américain et « ultra-libéral » au sens classique (« turbo-libéral » se moque le bloggeur libertarien H16), le premier a un sens trop changeant pour être utilisable, et le second n’est plus qu’une insulte sans valeur. De fait, si quelqu'un utilise sérieusement, non ironiquement, le terme ultra-libéral, ou jette le terme libéral comme une insulte, c'est soit qu'il ne sait pas ce qu'est le libéralisme, soit qu'il cherche à manipuler ceux qui ne le savent pas.

Philippe Gouillou

Références :

Image : Le « Gadsden Flag », drapeau des libertariens représentant un serpent à sonnette avec la devise « Don't Tread On Me » (« Ne me marche pas dessus »).