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"Il n'est de richesse que d'hommes" Jean Bodin (XVI°)

La Principauté cherche à augmenter son attractivité pour attirer les meilleurs. Mais qui sont-ils ? Et comment les convaincre ?

Mon premier Billet Éco (MBN 45) avait donné une piste de réponse à la première question : l'histoire a montré que le nombre d'intellectuels et de créatifs a une très forte influence sur l'avenir d'une cité, parfois même pour de très longues périodes. Il est apparu que les villes qui ont le plus réussi sont celles qui avaient pu attirer, et retenir, ceux qui ont créé les innovations qui ont transformé le monde. Le point important est que la densité compte : il ne suffit pas d'un inventeur génial, il faut tout un environnement intellectuel qui permette d'enclencher un cercle vertueux bénéfique pour tous. Et pour cela il ne faut pas confondre cette « classe créative » avec la « classe managériale », confusion qui est trop souvent entretenue comme le dénonçait avec force Thomas Frank en 2013.

Des objectifs contradictoires

Une fois la cible définie, il reste à l'attirer : comment l'atteindre ? Comment la motiver ? Que cherche-t-elle ? C'est là que les choses se compliquent et une nouvelle étude le montre particulièrement. Markus Jokela a étudié les déménagements au cours de leur vie de personnes qui avaient entre 15 et 23 ans en 1979. Il a trouvé que celles ayant montré de plus hautes capacités cognitives ont plus bougé que les autres, ce qui semble logique, mais aussi qu'elles l'ont fait dans les deux sens : pas seulement vers les villes, mais aussi de celles-ci vers les banlieues et les campagnes. En d'autres termes : ce ne sont pas les cités qui attirent les hauts QI, c'est le changement d'environnement qui les motive, ils cherchent plus que les autres ce qu'ils n'ont pas.

Cette étude ne s'intéressait cependant qu'aux mouvements à l'intérieur d'un pays riche (les USA), pas aux migrations internationales. A ce niveau, les chiffres de l'Union Européenne sur les changements de pays des membres des professions règlementées (médecins, architectes,...) montrent le pouvoir d’attraction de la richesse générale. Ainsi, une carte réalisée pour le Forum Européen d’Alpbach (Autriche) en août 2014 montre un net mouvement général du sud vers le nord-est de l'Union, c’est-à-des pays plus pauvres vers les plus riches.

L'argent contre-productif

La richesse n'est pourtant pas suffisante pour motiver les intellectuels et créatifs : des études ont même montré que l'argent peut avoir un effet diamétralement opposé.

Des chercheurs ont testé l'efficacité et la motivation d'un grand nombre de personnes à des tâches plus ou moins demandeuses intellectuellement, en fonction du salaire qui leur était payé. Le résultat a été net : l'argent ne motive et n'augmente l'efficacité que pour les tâches d'exécution, c’est-à-dire les plus simples, et il a l'effet exactement opposé pour les tâches cognitives et (plus encore) pour les tâches créatives. C'est un résultat solide qui a été très souvent confirmé dans de nombreux pays. Par exemple la promesse d'une forte prime au vainqueur avait entraîné un taux d'échec de 100% au « Marshmallow Challenge » de Walter Mischel, une épreuve mondiale de créativité.

Faudrait-il donc sous-payer la classe créative pour la motiver ?

Non, ce que ces études montrent est que les tâches les plus demandeuses intellectuellement dépendent de la motivation intrinsèque, or celle-ci nécessite de la liberté d'esprit, et notamment un dégagement des soucis matériels. Sans fortune personnelle, Charles Darwin n'aurait pu réussir ses recherches et sans mécénat le Quattrocento florentin n'aurait pas atteint ses sommets dont la ville bénéficie encore aujourd'hui. Comme le résume Dan Pink dans son livre sur la « Motivation 3.0 » : en management la meilleure utilisation possible de l'argent est de l'extraire de la table de discussion. C'est pourquoi les grandes compagnies de la Silicon Valley offrent des rémunérations très élevées à leurs employés et leur procurent de nombreux services qui les dégagent au maximum des contingences : pour qu'ils n'y pensent plus et ne soient pas démotivés.

Le long terme

C’est là que se situe le talon d'Achille de Monaco.

La Principauté est riche et attractive. Elle offre à la fois la ville et la campagne, et même la mer et la montagne. Avec sa culture et son passé elle peut répondre aux attentes des inventeurs et créatifs qui y trouveront une qualité de vie et un environnement propices à leur épanouissement.

Mais la rareté des espaces disponibles la leur rend inaccessible : celui qui n'a pas encore réussi ne peut s’y installer. Dans son fonctionnement actuel, la Principauté ne peut attirer que le top de la classe managériale, pas ceux qui inventeront demain.

La gestion de cette rareté est la question fondamentale de l'économie monégasque, celle qui déterminera son devenir. Il est nécessaire d'avoir une vision à long terme qui prenne en compte les transformations du monde. Pour continuer de se développer, la Principauté ne doit pas être juste un instantané de la richesse d'aujourd'hui, un cadeau réservé à ceux qui ont réussi dans le monde actuel, mais aussi un lieu dynamique de création et d'invention qui aura une influence déterminante sur le monde de demain.

Philippe GOUILLOU

Références :
European Forum Alpbach (EFA), 2014 ; Frank, T. (Salon Magazine : 13 octobre 2013) ; Jokela, M., 2014 (doi:10.1016/j.intell.2014.05.003) ; marshmallowchallenge.com ; Monaco Business News 45 ; Pink, D., 2010 (ISBN:978-1594484803)

Sources citées

  • Where the European brains go. European Forum Alpbach (EFA)

  • TED talks are lying to you. Thomas Frank. Salon Magazine. 13 Oct. 2013

  • Jokela, M. (2014). Flow of cognitive capital across rural and urban United States. Intelligence, 46, 47–53. doi:10.1016/j.intell.2014.05.003

  • marshmallowchallenge.com

  • Ce qu'il y a derrière les chiffres économiques (Superlinéarité). Gouillou, Philippe. Monaco Business News. Vendredi 11 octobre 2013

  • Pink, D. H. (2010). Drive: The surprising truth about what motivates us. USA: Riverhead Trade. ISBN:978-1594484803