Monaco : la reconquete des espaces

Dès cette année 2015, le constructeur Tesla proposera des automobiles capables de conduire seules dans 90% des situations. D'ici 2017, les véhicules totalement autonomes seront sur le marché et, dès 2020, l'offre grand public sera fournie (Carlos Ghosn, PDG de Renault, annonce 2025). La question n'est plus de déterminer quand de tels véhicules seront disponibles, mais de prévoir quand ils seront obligatoires : quand il sera interdit à un humain de prendre le volant sur le réseau routier public.

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Cette révolution technologique constituera un choc brutal pour le secteur automobile : les compétences demandées pour concevoir, construire, et maintenir les nouveaux véhicules ne seront pas accessibles à tous. Les petits réparateurs automobiles disparaîtront probablement et de nouveaux entrants issus du monde informatique (Google, Tesla, la rumeur évoque aussi Apple...) prendront des parts de marché décisives.

Zack Kanter, futuriste et PDG d'un fournisseur automobile, a publié fin janvier un court article où il synthétise sa vision du marché : il y annonce la quasi-disparition du véhicule particulier dès 2030. Ses chiffres sont forts : le nombre de véhicules en circulation aux USA sera divisé par cent, 10 millions d'emplois seront détruits et la population américaine économisera chaque année mille milliards de dollars.

Son raisonnement apparaît évident. Il rappelle tout d'abord que les véhicules particuliers ne roulent que moins d'une heure par jour, que 30% des véhicules en circulation sont justement en train de chercher une place pour s'arrêter, et qu'un américain moyen passe 38 heures par an (quasiment une semaine de travail) dans des ralentissements. C'est-à-dire qu'une voiture, qui représente la deuxième source de dépenses pour la majeure partie de la population, n'est qu'une charge inutile plus de 96% du temps.

La fin du véhicule particulier

Pourquoi alors dépensons-nous autant ? La raison objective principale est la nécessité : il faut posséder son véhicule pour avoir la garantie de pouvoir aller d'un point à un autre sans être bloqué par les horaires (et les risques de grève) des transports en commun. En cas d'urgence, c'est vital.

Mais c'est justement cette sécurité que les véhicules autonomes assureront mieux que les véhicules particuliers : si vous avez la garantie de pouvoir disposer d'un véhicule qui viendra vous chercher en moins de temps que vous n'en auriez mis à rejoindre le parking, qui vous emportera à destination plus rapidement et plus sûrement que si vous aviez pris le volant, et qui vous y déposera sans que vous ayiez à chercher où vous garer, aurez-vous encore envie de dépenser autant pour posséder votre propre véhicule ?

Probablement pas : avant même que la conduite humaine soit interdite, nombreux seront ceux qui préféreront utiliser ceux fournis, à la demande, par de nouvelles sociétés gérant des parcs suffisants pour garantir la disponibilité. C'est le futur marché du siècle, celui sur lequel se positionnent déjà des plateformes comme Uber, qui prévoit de remplacer ses chauffeurs par des véhicules 100% autonomes dès 2025.

Temps et espace récupérés

Les avantages sont innombrables. La circulation sera facilitée : moins de voitures sur la route signifiera moins de bouchons, d'autant plus que la fin de la chasse à la place de parking fluidifiera le trafic et que les véhicules eux-mêmes gèreront mieux leurs interactions. Enormément d'espaces seront libérés : de nombreux parkings, bien sûr, mais aussi de nombreuses voies de circulation qui n'auront plus besoin d'être aussi larges. Ce gain est tellement important que Google a totalement revu début 2015 son projet de siège social, actuellement principalement couvert de parkings, pour l'ouvrir à la nature en en faisant disparaître l'automobile.

Pour Monaco le rêve sera devenu réalité. La chute du nombre de véhicules entrants permettra la résorption des célèbres bouchons aux heures de pointe et la Principauté pourra retrouver des espaces dont elle a tant besoin. La vie gagnera en confort et en écologie.

De nouveaux marchés

Il est bien sûr probable que tout le monde ne voudra pas de ce changement. Un véhicule particulier est beaucoup plus qu'un simple mais coûteux moyen de transport utilitaire nécessaire. Il est aussi un excellent support de compétition sexuelle (un homme en photo sera mieux noté par les femmes s'il pose à côté d'une voiture de luxe que sans cet étalage de richesse) et même un formidable moyen d'affirmation de soi. Par exemple, les chercheurs ont montré que les calandres nous engagent émotionnellement : nous les percevons comme des visages porteurs d'émotions (c'est la "paréidolie") et nous choisissons nos voitures en fonction de leurs bouches (grilles), qui expriment la convivialité, et de leurs yeux (phares), qui affirment l'agressivité (Landwehr, McGill & Herrmann, 2011). C'est un phénomène universel (Windhager et al., 2011).

Il faut donc s'attendre à ce qu'une partie de la population refuse de s'uniformiser en perdant une telle extension de soi et les plus riches et les plus puissants réussiront certainement à conserver cette distinction qui apparaîtra de plus en plus comme un privilège.

Mais les autres seront beaucoup plus nombreux et ils chercheront des supports de remplacement : le besoin d'affichage existera toujours et beaucoup plus de ressources seront disponibles, l'économie sera totalement repensée. Quelles sociétés sauront en profiter ?

Destruction créatrice et nouveau monde

S'il avait fallu plus de cinquante ans pour que les automobiles supplantent les chevaux, leur remplacement par les véhicules autonomes sera beaucoup plus rapide. Comme dans toute "destruction créatrice" (selon l'expression de Joseph Schumpeter), il y aura des gagnants et des perdants : ce sont ceux qui auront su s'adapter le plus vite aux nouveaux marchés qui y réussiront le mieux, même si de nouveaux "Luddites" (qui cherchent à bloquer le progrès) feront tout pour les en empêcher. Le point essentiel est que l'impact économique ne concernera pas que le secteur automobile mais que tout le monde devra s'adapter, pas seulement ceux qui s'occupent d'aménagement urbain et des voies de circulation.

Le progrès est exponentiel et 2025 est très proche : il nous faut dès maintenant réfléchir à comment nous construirons la nouvelle cité plutôt qu’à comment nous sauverons le monde d’hier en phase de disparition.

Philippe GOUILLOU

Références : zackkanter.com (23 février 2015) ; Landwehr et al. (2011, doi:10.1509/jmkg.75.3.132) ; Windhager et al. (2011, doi:10.1016/j.evolhumbehav.2011.06.003) ; Lettre Neuromonaco 67.

Sources citées