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L'IMSEE a publié ce mois son Bulletin de l'Economie au 2ème trimestre 2013 qui nous apprend que la Principauté concentre maintenant plus de 50 000 emplois sur 2 Km2, avec une hausse de presque 2% en un an.

Ce chiffre de 50 000 est souvent rapporté à la population (37 000) : le ratio est de 4 emplois pour 3 habitants. Mais il doit aussi être comparé à celui de La Défense (France), premier centre d'affaires européen (150 000 emplois sur 14 Km2) et à celui de Sophia Antipolis (30 000 emplois sur 24 Km2). Avec 25 000 emplois au Km2, Monaco est plus de 2 fois plus dense que La défense et 20 fois plus que Sophia Antipolis.

Cette hyper concentration a ses contraintes : plus d'emplois signifie plus de besoins en transports, en logements, en approvisionnement, en énergie, et le pays coincé entre la mer et la montagne les vit quotidiennement.

Mais des économies d'échelles se mettent en place, l'augmentation n'est pas linéaire : un doublement de la population ne provoque pas un doublement des besoins.

Superlinéarité

Le plus surprenant est que ce même effet non linéaire se retrouve sur des critères sociaux : plus d'habitants signifie plus de richesse, pas seulement au total mais aussi pour chacun des habitants.

C'est ce qu'on appelle "Superlinéarité" (“superlinear scaling”), que l'Université de Santa Fé résumait en 2010 : "À chaque doublement de la population d’une ville, chaque habitant est, en moyenne, 15% plus riche, 15% plus productif, 15% plus innovateur et a 15% de plus de risque d’être victime d’un crime violent, indépendamment de la géographie de la ville ou de la décennie considérée."

Suffira-t-il donc de doubler le nombre d'emplois à Monaco pour que chacun y soit automatiquement 15% plus riche ? En fait, non : l'effet est statistiquement retrouvé au niveau global, mais chaque cité y parvient plus ou moins bien, des conditions sont nécessaires.

Tout dépend de qui augmente la population. La cité doit réussir à concentrer suffisamment de créatifs et d'intellectuels pour qu'une émulation productrice se mette en route, elle doit être un lieu de rencontres entre entreprenants pour que la superlinéarité puisse se développer. Cela signifie qu'il faut d'abord un environnement économique favorable et suffisamment de liberté pour attirer cette élite.

Mais même cela ne suffit pas. Il existe énormément de cités dans le monde qui répondent aux conditions minimales, qui ont une économie solide, un environnement propice à la création et suffisamment de liberté d'entreprendre. Pourtant seulement certaines, très peu, seront les centres créatifs des prochaines décennies.

Breakthrough

Selon Samuel Arbesman (auteur de "The Half-Life of Facts", 2012), il faut une percée technologique : quelque chose de suffisamment nouveau pour être disrupteur, pour relancer la compétition sur de nouvelles bases (il emploie le terme "breakthrough").

Au cours de l'histoire on peut citer l'invention du char qui a permis aux Pharaons de créer l'empire égyptien, de l'imprimerie, qui a permis aux premières villes en bénéficiant de se positionner pour les siècles à venir, et plus récemment de l'informatique, qui a permis à la Silicon Valley (Californie) de devenir, et rester, le centre mondial de l'innovation.

Le changement par rapport à l'histoire est que ces percées ne sont plus un événement rare : nous en connaissons maintenant plusieurs par génération. Elles peuvent même en entraîner d'autres. Par exemple Internet, qui a été l'une des percées les plus fondamentales, est né de l'informatique et des télécoms et a enfanté le commerce électronique, la vidéophonie mobile pour tous, et les réseaux sociaux.

On ne peut pas prévoir quelle sera la prochaine percée technologique qui rebattra les cartes. De très nombreuses technologies révolutionnaires sont dans les laboratoires sans qu'on sache encore lesquelles s'imposeront.

Mais on sait que les premiers qui sauront se positionner sur une de ces technologies, les premiers qui sauront l'exploiter suffisamment pour transformer le monde, ceux-là auront gagné l'avenir. Et on sait aussi qu'ils viendront d'un environnement déjà suffisamment dense en talents, que leur succès attirera d'autres talents, et que toute la population bénéficiera du cercle vertueux de la superlinéarité.

Monaco

Les chiffres de l'IMSEE nous montrent que la Principauté bénéficie déjà d'une concentration suffisante pour rester la cité créatrice qu'elle a su devenir au cours des 150 dernières années, depuis qu'elle a su créer le premier resort mondial, Monte Carlo, et qu'elle a su évoluer pour devenir un centre d'affaires de premier plan.

Mais la compétition est toujours relancée : l'avenir de Monaco se jouera sur sa capacité à continuer d'attirer les talents afin qu'ils soient déjà là pour exploiter les premiers les prochaines percées technologiques.

Philippe GOUILLOU

Références : Bettencourt et al. (2007 ; doi:10.1073/pnas.0610172104) ; Bettencourt et al. (2010 ; doi:10.1371/journal.pone.0013541) ; Bettencourt & West (2010 ; doi:10.1038/467912a) ; The Atlantic Cities, 16 octobre 2012.

Sources citées

Bettencourt, L. M. a, Lobo, J., Helbing, D., Kühnert, C., & West, G. B. (2007). Growth, innovation, scaling, and the pace of life in cities. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 104(17), 7301–6. doi:10.1073/pnas.0610172104

Bettencourt, L. M. a, Lobo, J., Strumsky, D., & West, G. B. (2010). Urban scaling and its deviations: revealing the structure of wealth, innovation and crime across cities. PloS One, 5(11), e13541. doi:10.1371/journal.pone.0013541

Bettencourt, L., & West, G. (2010). A unified theory of urban living. Nature, 467(7318), 912–3. doi:10.1038/467912a

The Role of Place in Discovery and Innovation. Richard Florida. The Atlantic Cities (CityLab). Oct 16, 2012