Oui, nous chefs d’entreprises monégasques, sommes inquiets.

En décembre dernier, le Conseil national a voté une loi équilibrée pour transposer la 5ème directive européenne contre le blanchiment d'argent, le financement du terrorisme et la corruption. Quatre mois plus tard, une Ordonnance Souveraine d’application était publiée, sur laquelle je me suis déjà exprimé... Depuis, deux nouveaux projets de loi ont encore été déposés au Conseil national pour renforcer l’arsenal législatif et pénal, qui, sur bien des points, vont plus loin que la directive qu’ils visent à transposer.

Tout cela vient d’un changement de doctrine majeur : dans la lutte contre le blanchiment, nous serions tous coupables par principe, sauf si nous prouvons que nous sommes innocents. Oui, je le répète, vous serez tous coupables, sauf si vous pouvez prouver que vous êtes innocents.

Nous, patrons de PME, ne pouvons être tenus pour responsables, dans de nombreux domaines que nous ne maîtrisons pas, car ce ne sont pas nos métiers, de manquements à des règles sans cesse plus nombreuses et plus complexes. Jusqu’où devrons-nous connaître nos clients et leurs intentions ? Et plus encore imaginer l'utilisation qu'ils pourraient faire des produits ou services que nous leur vendons ? Acheter une voiture peut servir à se déplacer comme à commettre un attentat. Aujourd'hui, devrions-nous nous demander systématiquement si la personne à qui nous vendons une voiture pourrait commettre un attentat avec ? Et que pense la CCIN de l’obligation de conserver les preuves de nos recherches ?

De la même manière, la protection croissante des « lanceurs d’alerte » nous parait rendre inopérants les textes sur la dénonciation calomnieuse dans leur application concrète. Là encore, il faudrait garder raison, car il est si facile d’abimer une image publique et si long de la reconstruire.

Tout cela nous paraît bien disproportionné par rapport à l'objectif de départ. Aussi, nous avons souhaité donner la parole dans ce Monaco Business News à plusieurs chefs d'entreprises ou représentants de secteurs, mais d’abord à Monsieur le Secrétaire d'État à la Justice, pour nous parler de ces textes, de ces changements législatifs majeurs qui nous inquiètent fortement.

Nous ne pouvons pas travailler dans l'incertitude, dans un aléa juridique qui sera peut-être un jour rempli par la jurisprudence. Nous ne voulons pas être à la merci de procédures longues et profondément stressantes, sur des actions que nous n'aurions pas commises. Car le fond du problème est que nous devrons prouver non seulement que nous ne savions pas quelque chose, mais plus encore, que nous ne pouvions pas le savoir !

D’autres Pays ont modulé leurs textes afin de trouver un équilibre entre protection des droits fondamentaux et application des directives. Monaco doit trouver cet équilibre spécifique à ses réalités humaines et à son tissu économique, s’il ne veut pas perdre une part importante de celui-ci.

Philippe Ortelli
Président