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Si un matin je traversais le Potomac en marchant sur l’eau, les titres de la presse l’après-midi seraient : le Président ne sait pas nager !”.
Lindon B. Johnson (1908–1973, 36e Président des USA)

Bronx, New York City, 1946. Virgil Sollozzo, dit “Le Turc”, essaie d’assassiner Vito Corleone, pour imposer son trafic de drogue. Il échoue mais se sent malgré tout suffisamment en position de force pour demander un rendez-vous avec Michael, le plus calme des fils de Vito, où il viendra accompagné d’un Capitaine de Police corrompu. Les fils Corleone voudraient les tuer tous les deux, mais cela reviendrait à briser la règle non-écrite de ne jamais tuer un policier, et à cela, même une famille mafieuse aussi puissante que la leur n’y survivrait pas. Comment faire ? C’est Michael qui trouve la solution (Youtube) : il les tuera bien tous les deux, mais lancera immédiatement une campagne de presse (au travers des journaux contrôlés par la famille) pour faire accepter ces assassinats.

On appelle “Spin” l’action de retourner l’information pour la présenter de manière favorable à ses intérêts, et les “Spin doctors” sont les conseillers en communication spécialisés dans ces actions. Le spin utilise très nombreuses techniques de manipulation (voir : Evoweb, 2018) et le plus souvent personne, ou presque, ne les détecte. Dans le film de Francis Ford Coppola Le Parrain (The Godfather, 1972), le spin est efficace : la presse titre “Un Capitaine de Police lié à des trafics de drogue” (photo), les Corleone ne sont pas trop inquiétés, et, après un temps au vert en Sicile, Michael Corleone finira même chef de la famille. Qu’il fonctionne si bien est très facile à comprendre : toute perception est interprétation, nous ne réagissons pas directement à une information mais à comment nous l’interprétons, et le spin impose celle-ci.

L’utilisation du spin est une nécessité pour obtenir ou garder le pouvoir, aussi ses exemples sont innombrables : le Gouvernement Britannique finance actuellement une campagne de réécriture de pages scientifiques de Wikipedia pour qu’elles soutiennent ses choix politiques (Dailysceptic, 2023), Twitter et Facebook avaient dénigré et censuré des informations vérifiées pour faire élire Joe Biden aux USA (The Federalist, 2023), Meta a lancé Threads pour recréer la chambre d’écho fortement censurée qu’était Twitter (maintenant : X) avant son rachat par Elon Musk, etc. C’est même parfois amusant : en 2007 la radio France Info avait totalement inversé son narratif en l’espace d’une demi-heure : le coupable de 6h45 était devenu la victime à 7h15, l’information n’ayant été présentée de manière non-manipulatoire qu’à 7h00.

La principale difficulté est la concurrence entre les spins : les intérêts de ceux qui veulent retourner l’information en leur faveur s’opposent souvent. Les différents acteurs se retrouvent ainsi en forte compétition sur un marché et c’est ce marché qu’on appelle “actualité”. L’actualité ce n’est pas l’ensemble des informations à un moment donné, c’est le marché où se battent ceux qui en ont les moyens pour imposer leurs spins, c'est-à-dire leurs interprétations des informations afin de manipuler l’opinion dans un sens conforme à leurs intérêts. Quand un responsable de rédaction affirme qu’il faut “garder la maîtrise de l’actualité”, il dit juste qu’il cherche à imposer ses spins à lui, c’est-à-dire des informations présentées de manière favorable à ses intérêts.

Ce n’est pas nouveau, il y a 180 ans Alexandre Dumas (1841) s’en était déjà moqué en imaginant les titres du journal Le Moniteur du 9 au 22 mars 1815, au fur et à mesure de la montée victorieuse de Napoléon sur Paris :

L’anthropophage est sorti de son repaire.
L’ogre de Corse vient de débarquer au golfe Juan.
Le tigre est arrivé à Gap.
Le monstre a couché à Grenoble.
Le tyran a traversé Lyon.
L’usurpateur a été vu à soixante lieues de la capitale.
Bonaparte s’avance à grands pas, mais il n’entrera jamais dans Paris.
Napoléon sera demain sous nos remparts.
L’empereur est arrivé à Fontainebleau.
Sa Majesté Impériale et Royale a fait hier son entrée en son château des Tuileries au milieu de ses fidèles sujets...

La satire était suffisamment précise pour qu’encore aujourd’hui beaucoup croient qu’il s’agissait de vrais titres.

Et Dumas concluait :

"C’est l’exegi monumentum [le monument] du journalisme ; il n’aurait rien dû faire depuis, car il ne fera rien de mieux."

Philippe Gouillou

Références : Coppola, Francis Ford (1972) : The Godfather (Youtube) ; Dailysceptic : 16 juillet 2023 ; Dumas, Alexandre (1841) : Chapitre “Le Golfe Juan” in Une Année à Florence, pp 58–59 ; Evoweb : 8 août 2018 ; Gazette nationale ou Le Moniteur universel : Année 1815 ; The Federalist : 13 juillet 2023

Image : The Godfather (Le Parrain) - Francis Ford Coppola, 1972