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Par sa nature elle-même, un décret gouvernemental ne peut pas créer quoi que ce soit qui n’ait déjà été créé. (...) L’État ne peut pas rendre l’homme plus riche, mais il peut le rendre plus pauvre.
Ludwig von Mises

L’histoire qu’on nous répète sur le monde occidental est généralement celle-ci : avant, dans les temps obscurs, le monde était figé, chacun y avait sa place assignée à la naissance (noblesse, tiers-état), mais, heureusement, les Lumières des Droits de l’Homme se sont imposées, et à leur suite l’État Providence qui a permis de garantir à chaque enfant des chances égales, quel que soit son environnement de départ. Bien sûr tout cela a coûté (très) cher, mais c’était le prix à payer pour lutter contre les inégalités, le coût de la "justice sociale" (Base Éco 7). Hélas, les études de Gregory Clark montrent que cette histoire n’est qu’un mythe : les différentes politiques de taxation et de redistribution ont bien coûté très cher, mais elles n’ont pratiquement rien changé à la mobilité sociale.

Pour ce faire, Gregory Clark (2014) s’est intéressé aux noms de familles, et les a dénombrés dans les postes prestigieux au cours des siècles. Il a fait les calculs pour l’Angleterre dans l’ère médiévale et dans les temps modernes, pour les USA, la Suède, pourtant réputée pour sa politique sociale, et aussi pour l’Inde, le Japon, la Corée, la Chine, Taïwan, et le Chili. Le résultat a été net : la corrélation intergénérationnelle est comprise entre 0,7 et 0,9, quel que soit le système politique en place. En fait, même le développement de l’enseignement à la fin du XIX° siècle n’a pas accru la mobilité sociale : la régression vers la moyenne de la population prend un grand nombre de générations (et pour quelques groupes il n’y a même pas de régression). Il y a bien sûr des variations, par exemple en Occident la mobilité sociale était principalement descendante avant la Révolution Industrielle (les riches s’appauvrissaient lentement de génération en génération) et est surtout ascendante depuis (les riches ont moins d’enfants et des pauvres font fortune). Mais la règle reste : Le statut social est hérité aussi fortement que n’importe quel trait biologique, comme la taille (Clark, 2014). Plus précisément, les différentes composantes du statut social dépendent d’un facteur caché qui montre un taux de persistance de 0,75 d’une génération à l’autre, taux qui est très fortement marqué génétiquement (Clark, 2023) et reste donc constant au travers des cultures (Clark, 2014).

Clark (2023) résume : “Les sciences sociales sont largement convaincues de la capacité des interventions sociales et des institutions sociales à influencer de manière significative les taux de mobilité sociale. (...) Cet article montre toutefois que ces interventions n’ont pas modifié de manière mesurable la forte persistance du statut social au sein de la famille d’une génération à l’autre.

Et il n’y a pas que les recherches de Gregory Clark qui le montrent. En France, pays qui consacre la plus grande part de son PIB à la redistribution, Dherbécourt & Flamand (France Stratégies, 2023) ont trouvé que "1 080 euros nets par mois séparent les personnes d’origine favorisée de celles d’origine modeste", facteur largement plus influent que tous les autres. Aux USA, Lasseter et al. (2023) ont trouvé que parmi les 536 Membres du Congrès, plus de 100 descendent directement de possesseurs d’esclaves, il en est de même pour 2 des 9 Juges de la Cour Suprême et de 11 des 50 Gouverneurs d’État, et parmi les 5 anciens Présidents encore en vie, seul Donald Trump n’est pas un descendant d’esclavagiste : Jimmy Carter, George W. Bush, Bill Clinton, et Barack Obama le sont.

Énormément de facteurs interviennent pour expliquer ce résultat. Ce sont bien sûr surtout les traits de caractère psychologiques, dont le QI, qui sont transmis génétiquement (Clark, 2023), mais ils ne sont pas seuls. Il y a aussi les facilités dont bénéficient ceux qui sont déjà en haut de l’échelle, notamment une plus grande résilience aux échecs (notacoward (2017) comparait l’entreprenariat à un jeu de fléchettes : peu tirent dans le mille, mais certains ont droit à plus de tentatives que d’autres). Ceux déjà riches ont aussi accès à un réseau inaccessible aux autres et risquent donc moins de se retrouver bloqués par un Principe de Peter Inversé (Neuromonaco 27). Enfin il y a le fait que la pauvreté coûte (très) cher : le pauvre ne pourra pas acheter du durable et dépensera au total souvent plus qu’un riche pour des produits de base (voir la "Théorie des bottes" de Terry Pratchett) : il n’a pas de pouvoir de négociation, il ne peut pas acheter de produits de qualité, les frais bancaires de découvert sont exorbitants, etc.

Mais justement, les politiques sociales ont pour but de s’attaquer à ces facteurs autres que génétiques, pourquoi n’y parviennent-elles pas ?

Ce sont justement ces politiques qui, volontairement ou pas (Evoweb, 2016), maintiennent la stagnation sociale qu’elles affirment combattre. Elles appauvrissent certes les riches, mais empêchent surtout les pauvres de s’en sortir, de créer, d’inventer. Leurs effets sont parfois directs (exemple : la progressivité de l’impôt dans de nombreux pays a pour effet principal de freiner l’enrichissement : Evoweb, 2019), mais le plus souvent ils sont indirects. En d’autres termes : les lois dites sociales ont remplacé les coutumes pour enfermer chacun à son niveau de naissance, il faut les supprimer pour espérer débloquer la mobilité sociale.

Philippe Gouillou

Références : Base Éco : 7 (MBN 74, avril 2021) ; Clark : 2014 (ISBN: 978–1400851096), [2023] (doi:10.1073/pnas.2300926120) ; Dherbécourt & Flamand (France Stratégies, 2023) ; Evoweb : 14 février 2016, 9 avril 2019 ; Lasseter et al., 27 juin 2023 ; Neuromonaco : 27 (31 mai 2012) ; notacoward : Hacker News, 9 novembre 2017 ; Wikipedia : Théorie des bottes : Sam Vimes "Boots" theory of socioeconomic unfairness

Image : “Toffs and Toughs” par Jimmy Sime. Peter Wagner, Thomas Dyson, et trois inconnus, Grace Gate, Lord's Cricket Ground, St John's Wood, Londres, Royaume-Uni, le 9 juillet 1937.