center

Le premier dans ce village plutôt que le second à Rome.
Jules César

Il n’y a pas que votre carrière qui compte, votre vie privée aussi est importante et, justement, vous avez décidé de vous mettre en couple et donc vous inscrivez sur une application de rencontre. Votre optimisme vous porte : quel meilleur moyen de trouver une personne correspondant à vos souhaits ? Comment ne pas apprécier les facilités offertes par les nouvelles technologies ? Hélas, vous êtes un homme hétérosexuel et vous retrouvez donc sur un des marchés les plus inégalitaires qui soit. Tous les commentaires l’affirment : sauf si vous êtes (très) photogénique, ou à la limite pouvez démontrer votre (grande) richesse, vos chances sont plus que restreintes, ce n’est pas votre beauté intérieure qui vous sauvera1. Et il ne s’agit pas que de témoignages d’hommes frustrés parce qu’éconduits : toutes les simulations l’ont prouvé.

Le graphique ci-dessus renforce votre désespoir : l’inégalité sur l’application de rencontres "Tinder" pour les hommes hétérosexuels est encore pire que l’inégalité de richesse, pourtant si souvent décriée. Pourquoi personne ne manifeste pour plus de justice ? Les deux courbes noires et rouges y représentent ce qu’on appelle des "Courbes de Lorentz", du nom de Max Otto Lorenz (USA, 1876 - 1959) qui les avait créées en 1905, respectivement pour les revenus et le nombre de "likes". Leur avantage est qu’elles sont très faciles à comprendre : plus l’aire comprise entre une Courbe de Lorentz et la droite d’égalité parfaite (ici en vert) est importante, plus il y a inégalité. Et cette aire permet de calculer le “Coefficient de Gini” (du nom de Corrado Gini, Italie, 1884 - 1965) qui est le coefficient le plus utilisé pour mesurer les inégalités. Il va de 0 (égalité parfaite) à 1 (inégalité totale), et on peut classer chaque pays du monde selon ce critère : en règle générale les pays Occidentaux montrent des Coefficients de Gini aux alentours de 0,3, et un coefficient supérieur à 0,5 ne se trouve que dans les pays les plus totalitaires.

Qu’en est-il donc sur les applications de rencontre ? Vous savez déjà que les femmes jugent en dessous de la moyenne la majorité des hommes2 et vous avez lu que “les 80 % d’hommes les moins attirants sont en concurrence pour les 22 % de femmes les moins attirantes et les 78 % de femmes les plus attirantes sont en concurrence pour les 20 % d’hommes les plus attirants3. Quel est donc le coefficient de Gini pour chaque sexe ? Aviv Goldgeier, un ingénieur de l'application de rencontres "Hinge", l'a calculé4 : 0,324 pour les femmes contre 0,542 pour les hommes. Pourquoi cette très forte inégalité sexuelle5 n’est-elle jamais mise en avant ?

Vaut-il mieux être pauvre dans un pays riche ou riche dans un pays pauvre ?

Le Coefficient de Gini est utilisé partout et très souvent cité, mais il n’est pas parfait. Il est notamment limité par sa non prise en compte de la richesse globale. Sebastian Jensen6 le montre au travers de l’exemple de deux sociétés, la seconde exactement 10 fois plus riche que l’autre : elles ont le même Coefficient de Gini alors que la différence réelle de pouvoir d’achat entre les plus riches et les moins riches est 10 fois plus grande dans la seconde que dans la première. Aussi il propose de quantifier les inégalités par l’écart-type7 de la distribution des revenus. Il calcule ainsi que les inégalités ont été multipliées par quatre aux USA entre 1940 et 2013... soit exactement la même hausse que celle du salaire moyen pendant la même période (dans les deux cas en tenant compte de l’inflation).

Il se trouve que cette concordance suit la règle générale : tout au long de l’histoire l’enrichissement s’est accompagné d’une hausse des inégalités, et une baisse de celles-ci était la marque d’un appauvrissement général. Par exemple, les inégalités ont augmenté tout au long de la croissance de l’Empire Romain, jusqu’à son pic vers 150 où elles ont entamé une baisse continue qui s’est poursuivie jusqu’à la chute de l’Empire8. Il faut donc choisir : être également pauvre ou inégalement riche ?

Chacun choisira son camp mais tous devraient remarquer qu’il y a une différence cruciale entre les inégalités économiques et celles sexuelles : un pauvre dans un pays riche peut bénéficier de certains avantages comme un cadre de vie plus agréable et un meilleur système de santé, un rejeté sur les applications de rencontres n'a rien du tout. C’est une autre limite du Coefficient de Gini : il ne montre pas que certaines inégalités sont plus cruelles que d’autres9.

Philippe Gouillou

Graphique : worst-online-dater, 25 mars 2015