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Tout est bien, tout est permis et rien n’est détestable. Ce sont des jugements absurdes”.
Albert Camus (1942) Le mythe de Sisyphe

Vous avez réussi à vous imposer comme le dictateur absolu, plus personne n’a la moindre liberté, tous vos désirs sont des ordres. Vous vivez dans un luxe absolu et savez que si tout le monde, ou ne serait-ce qu’une fraction de la population, vivait comme vous, le pays s’écroulerait sous la pollution. Alors vous vous affirmez écologiste et interdisez aux autres ce que vous vous permettez. 

Hélas, vous vous réveillez et vous rappelez que vous n’êtes pas un dictateur, mais juste un citoyen qui n’a pas grand pouvoir sur le monde. Alors vous vous rendormez. Et justement vous vous rêvez maintenant patron d’une petite entreprise qui doit choisir entre deux technologies pour fabriquer sa prochaine gamme de produits. Les offres que vous avez retenues sont globalement équivalentes, rien ne les distingue vraiment, sinon que certaines polluent plus que d’autres. Vous choisissez donc la moins polluante. 

La question est : dans vos deux rêves, qui a eu le comportement le plus moral ? Vous dictateur cruel ou vous patron vertueux ? Il y a des chances que vous choisissiez le second : la protection de l’environnement est jugée moralement bonne, le choix est vite fait. Mais ce n’est pas la bonne réponse, du moins ce n’est pas comme cela que notre cerveau fonctionne. 

Nous sommes de plus en plus habitués à subir des célébrités expliquant au bas-peuple qu’il ne doit surtout pas vivre comme elles le font, que ce soit au niveau des voyages (les autres doivent voyager moins), des transports (les autres doivent abandonner les véhicules individuels), et même de la vie quotidienne (les autres doivent pratiquer la sobriété). Bien sûr, de nombreuses personnes dénoncent ce qui est perçu comme de l’hypocrisie : les autres, non, moi, oui. Pourtant, ces critiques n’arrêtent pas les célébrités, qui continuent encore et encore, et elles sont même de moins en moins les seules à avoir ce comportement. Pire : plus ces personnes ont de pouvoir et plus elles s’autorisent des écarts et plus elles critiquent les vôtres (Lammers et al., 2010). Pourquoi ? 

En réalité tous ces moralistes peuvent être moralement très satisfaits de leur comportement : ils ne sont pas hypocrites, ils ont raison. L’explication en est juste quantitative : c’est “La balance de la justice” (Evoweb, 2019). Pour le comprendre, imaginez que chaque action moralement bonne rapporte 1 point. Dans ce cadre, le comportement moralement le meilleur sera celui qui maximisera le nombre total de points en un temps donné, et il ne change rien que ce soit vous ou votre voisin qui fasse cette action, le convaincre (ou l’obliger) est donc équivalent à votre action. Imaginez maintenant que vous pouvez convaincre (ou obliger) 1000 personnes : votre action à vous ne pèse plus qu’un millième. Selon ce calcul, le meilleur moyen de faire le bien n’est pas de le faire soi-même, mais de convaincre (ou obliger) plus d’une personne à le faire. Les célébrités et les dictateurs sont capables de changer le comportement d’un tel nombre de personnes que leurs comportements à eux ne comptent plus. Ils sont, quoiqu’ils fassent, moralement meilleurs que vous. 

Beaucoup trouveront malgré tout ce comportement immoral. En effet, même si on ne sait pas encore expliquer précisément pourquoi (Evopsy 2003 et 2019 ; André et al., 2022), beaucoup de règles morales ont été sélectionnées par l’évolution biologique, en d’autres termes nous avons souvent les mêmes, et la surexploitation des autres n’en fait généralement pas partie. 

Pourtant toutes les règles morales ne sont pas pré-codées, certaines apparaissent purement culturelles, c’est-à-dire avoir été choisies après un processus d’essais et d’erreurs. Les imposer est un acte de pouvoir extraordinaire (Evopsy 2003), mais, au fur et à mesure de l’histoire, certaines ont été sélectionnées et se sont imposées parce que leurs effets globaux ont été jugés bons par beaucoup.

Et c’est ce que nous avons en économie et en politique. L’histoire a permis de découvrir une règle morale universelle qui a plus que montré son succès, et qui, non seulement en fonde énormément d’autres, mais est aussi la base de notre réussite économique et de tous ses avantages. Cette règle est pourtant très simple : respecter la propriété de l’autre, que ce soit celle de sa vie, de son corps, ou de ses acquis. Elle n’est pas nouvelle : elle résume plusieurs des règles pratiques du Décalogue (Bible : Ex 20,2–17 et Dt 5,6–21), et elle est le fondement du Libéralisme classique (Base Eco 4). 

Ainsi, contrairement à ce qu’on lit souvent, le Capitalisme, “l’organisation de la propriété individuelle du capital” (Base Éco 3), est profondément moral, parce que respectant une règle morale claire qui a prouvé sa validité au cours des millénaires.

Et c’est la star qui lutte contre le capitalisme qui est la plus immorale : vous ne ferez jamais pire qu’elle. 

Philippe Gouillou

_Image : Chances de survie au jeu d’Échecs. Modification de ILA-boy (2008) (Licence CC-BY-SA) pour y afficher les résultats des calculs de Brennan (2014). Philippe Gouillou. Licence CC-BY-SA_

Références : André et al. (2022, doi:10.31234/osf.io/2hxgu) ; Bases Éco 3 (MBN 71, Juillet 2020) et 4 (MBN 72, Octobre 2020) ; Brennan 2014 ; Evopsy (5 février 2003 et 29 janvier 2019); Evoweb (12 février 2019) ; Lammers et al. (2010, doi:10.1177/0956797610368810)