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Tout ce qui est public devrait être gratuit. L’école, les transports, et les filles.
Alphonse Allais (1854 - 1905)

Cette Base Éco est complémentaire à la Base Éco 5 : “La plus grande invention de l’histoire humaine” qui avait expliqué les avantages de la monnaie.

Un philosophe trouve une lampe à huile. Il la frotte soigneusement avec sa manche et, comme il se doit, un génie en sort, qui, au lieu des trois vœux traditionnels, ne lui propose qu’une alternative : soit la sagesse infinie, celle qu’il a toujours recherchée, la vérité sur toute chose, soit un million de dollars. Bien sûr notre philosophe choisit la sagesse. Une grande lumière, beaucoup de fumée, et le voilà avec un visage décomposé. On s’affaire, on vient lui demander s’il va bien : “J’aurais dû choisir le million de dollars” répète-t-il. La vérité ultime ne vaut-elle donc pas un million de dollars ?

Au-delà de la question de la valeur (voir Billet Éco 21), estimer le prix de quelque chose implique de faire deux conversions : d’un côté quantifier ce qui est acheté, et de l’autre quantifier la valeur que nous lui donnons. Bien sûr, le plus souvent ces deux conversions se simplifient en une seule, nous ne distinguons pas les deux côtés, mais elles correspondent bien à deux processus distincts.

La première n’est pas toujours évidente : il y a beaucoup de choses que nous considérons comme non-achetables (une carte de crédit avait construit sa publicité sur cette distinction) et encore plus où nous ne sommes pas tous d’accord sur la moralité ou non de les acheter (prostitution, etc.). Nous y sommes cependant aidés par le basculement historique des “Normes sociales” vers les “Normes de marché” (voir Billet Éco 21) : de nombreuses transactions qui auparavant ne pouvaient se solder que par un engagement contraignant de réciprocité (Lettre Neuromonaco 70) se limitent maintenant à un simple échange monétaire.

La seconde est plus simple mais dépend entièrement de nous, c’est-à-dire de notre psychologie, et elle est donc dépendante de nos biais cognitifs et de notre situation du moment. Par exemple nous ne donnerons pas le même prix à un objet que nous avons fabriqué qu’à un autre (“Effet Ikea”), et si un dollar vaut toujours un dollar, certains d’entre nous en auront plus que d’autres besoin d’un million.

Comme nous bénéficions d’un intermédiaire universel d’échange (la monnaie : voir Base Éco 5), ces quantifications sont assez faciles à réaliser, mais dépendent de la valeur du moment de la monnaie de référence, laquelle dépend notamment de sa quantité en circulation (voir Bases Éco 9 et 16), et de la situation particulière de chacun (le philosophe de notre histoire avait peut-être plus besoin du million de dollars qu’un autre).

Enfin, si l’acheteur et le vendeur n’arrivent pas à accorder leurs conversions, alors, sauf contrainte, la vente ne se fait pas.

On remarquera que si cette double conversion en un prix unique fait perdre énormément d’informations (si je vous dis que quelque chose vaut 1 000 €, vous ne pouvez savoir si je parle d’un véhicule d’occasion, d’un voyage, d’un ordinateur, etc.), elle en apporte énormément sur le grand nombre. Le prix est un caractère quantitatif, donc comparable, qui montre la valeur que chacun accorde à un produit ou un service, c’est-à-dire qui nous permet d’avoir la connaissance des préférences de chacun. Or, comme le notait Coleman Hughes (2020) :

“S’il était possible que la somme totale de ces connaissances, réparties entre des millions d’esprits différents, soit collectée et transmise à un seul esprit en temps réel, alors un planificateur central pourrait diriger l’économie comme un maestro dirige un orchestre. Bien sûr, ce n’est pas possible, mais l’intuition de Hayek était que le mécanisme des prix permet d’obtenir le même résultat, de toute façon. Si l’étain devient soudainement plus rare — soit parce que les réserves ont été détruites, soit parce qu’une nouvelle utilisation a été découverte — aucun planificateur central n’est nécessaire pour inciter les consommateurs à utiliser moins de ce métal. Les gens n’ont même pas besoin de savoir pourquoi l’étain est devenu plus rare. Sans autre information que l’augmentation du prix de l’étain, des millions de personnes réduiront leur utilisation de ce métal, comme si elles étaient dirigées par une force omnisciente. En d’autres termes, ce qui nécessiterait une quantité impossible de connaissances et de coordination consciente en l’absence de prix n’en nécessite aucune en leur présence.”

TANSTAAFL

(“There Aien’t No Such Thing As A Free Lunch” : “Il n’existe pas de repas gratuit”)

Le prix n’est pas seulement l’indicateur de ce que nous devons sacrifier pour obtenir quelque chose, il est surtout l’information qui permet aux entrepreneurs de savoir comment gérer leurs investissements, c’est-à-dire que c’est la connaissance des prix qui leur permet de s’adapter (voir Billet Éco 29). Plus les prix sont libres, et plus leur variation influe sur les quantités vendues (on parle d’élasticité au prix qui correspond aussi à une forme de liberté), plus cette information est fiable. En d’autres termes : le contrôle des prix, qui empêche leur variation naturelle, et même la gratuité (qui consiste à faire payer autrement le produit) provoquent une baisse de la qualité de l’information dont ont besoin les entrepreneurs.

Et la citation moqueuse d’Alphonse Allais (ci-dessus) était bien fausse : tout a toujours un prix, il vaut mieux le connaître.

Philippe Gouillou

Références : Bases Eco : 5 (MBN 72, Octobre 2020), 9 (MBN 75, Juillet 2021), et 16 (MBN 78, Avril 2022) ; Billets Eco : 21 (MBN 65, Décembre 2018) et 29 (MBN 73, Janvier 2021) ; Coleman Hughes (City Journal, Summer 2020) ; Lettre Neuromonaco 70 (Neuromonaco, 6 mai 2013)

Photo : Stevebidmead. Licence CC0