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C’était une époque bénie : la nation n’était pas encore la propriété de l’État, et le citoyen, seule source d’idées et de richesse, était libre tant que sa liberté ne gênait pas celle de son voisin.
Marcel Pagnol (Parlant des années 1930). Cinématurgie de Paris, 1967

Si vous empruntez parfois la Basse Corniche (M6098) entre Beaulieu-sur-Mer et Villefranche-sur-Mer, vous connaissez le carrefour de Pont-St-Jean : c’est celui qui permet d’accéder à la presqu’ile de Saint-Jean-Cap-Ferrat. Vous vous rappelez peut-être que pendant un temps il fut régulé par des feux, mais que face aux bouchons la Mairie a décidé de le déréguler : à chacun de se débrouiller pour passer, et ça marche beaucoup mieux depuis. Il s’agit là d’un cas rare, qui n’est dû qu’à la particulière complexité du carrefour, le plus souvent les Maires qui choisissent de supprimer des feux le font pour ralentir la circulation, pas pour la faciliter : sauf cas particulier, la règle arbitraire imposée par les feux fluidifie la circulation (entre autres parce qu’elle permet de limiter la compétition sexuelle : Lettre Neuromonaco 80), c'est-à-dire qu’elle augmente notre liberté de circulation.

La question de la liberté occupe les philosophes depuis des millénaires, sans qu’aucune conclusion définitive ait jamais pu être atteinte. Non seulement nous ne savons pas si nous disposons, ou non, d’un libre arbitre, mais même dans ce cas les réflexions mènent à de nombreuses contradictions, comme celle évoquée ci-dessus où une restriction de liberté peut avoir pour effet une augmentation de celle-ci. Comment alors la définir ? 

En psychologie, on l’étudie sur le point auquel chacun veut (ou a besoin de) décider de la vie des autres, c’est-à-dire qu’on positionne chacun sur un “Axe du contrôle” (Lettre Neuromonaco 31). En politique, la liberté oppose les Collectivistes et Étatistes (jusqu’aux Totalitaristes) d’un côté, aux Libertariens (Base Eco 4) de l’autre. En économie, heureusement, la liberté a un sens plus facile à déterminer, qui est bien sûr lié avec les précédents. 

En économie, la liberté est fondamentalement liée à la propriété : elle est la liberté de faire ce que vous voulez de ce que vous possédez. Dans un pays libre, vous êtes libre d’exploiter vos ressources de la façon dont vous l’entendez, et de profiter librement du résultat de vos actions, même si celui-ci est négatif : la liberté est indissociable de la responsabilité.

Bien sûr cette liberté est restreinte par celle des autres (vous devez respecter la propriété d’autrui), et donc dépend de l’interprétation que fait la loi de cette protection du bien d’autrui. Plus généralement, chaque pays mettra en place des lois, des règlements, des contraintes, et même des taxes et des impôts qui viendront restreindre la liberté individuelle : un citoyen d’un pays communiste où plus de la moitié de ses revenus est prélevé par l’État est beaucoup moins libre que celui d’un pays libéral. 

Comme nous l’avons montré dans les autres Bases Eco, c’est cette liberté accordée à chacun de prendre des risques avec ce qu’il possède, et donc à certains de réussir, qui fonde la croissance économique et l’enrichissement de tous. Toute atteinte à cette liberté, même si elle est parfaitement justifiée, a un impact négatif sur la réussite, c’est-à-dire a un coût économique. 

On remarquera de plus que cette liberté, c’est-à-dire le respect de la propriété, a une valeur monnayable : dans une interview récente, les économistes Charles Gave & Olivier Delamarche rappelaient que beaucoup étaient prêts à payer plus cher des biens en Occident qu’ailleurs, parce qu’ils y gagnaient la garantie que leurs avoirs n’y seraient ni gelés ni confisqués extrajudiciairement, et cela même en cas de désaccord du pays de destination avec la politique de leur pays d’origine. 

Bien sûr l’histoire de l’Occident ne va pas dans le sens de plus de liberté, bien au contraire. Marcel Pagnol s’en plaignait il y a 55 ans (citation ci-dessus), et George Orwell l’avait même déjà prédit dès 1941, c’est-à-dire plusieurs années avant d’écrire 1984 : 

"Il est évident que l’âge du libre capitalisme touche à sa fin et qu’un pays après l’autre est en train d’adopter une économie centralisée que l’on peut appeler socialisme ou capitalisme d’État, comme on veut. Dans ce système, la liberté économique de l’individu et dans une large mesure sa liberté tout court – liberté d’agir, de choisir son travail, de circuler – disparaissent. Ce n’est que tout récemment que l’on a commencé à entrevoir les implications de ce phénomène. Précédemment on n’avait jamais imaginé que la disparition de la liberté économique pourrait affecter la liberté intellectuelle. On pensait d’ordinaire que le socialisme était une sorte de libéralisme augmenté d’une morale. L’État allait prendre votre vie économique en charge et vous libérerait de la crainte de la pauvreté, du chômage, etc., mais il n’aurait nul besoin de s’immiscer dans votre vie intellectuelle privée. Maintenant la preuve a été faite que ces vues étaient fausses."
Orwell (1941)

Et comme on le sait, cette nouvelle réduction de la liberté aura elle aussi un coût, que nous devrons tous payer. 

Philippe Gouillou