Monsieur Keynes, voulez-vous que je vous coupe votre pizza en quatre ou huit parts ?
Quatre, je n'ai pas très faim aujourd'hui.

Ça y est, vous êtes arrivé tout en haut, vous êtes le chef du pays et allez enfin pouvoir vous attaquer à ce qui vous a motivé toutes ces dernières années : remonter l'économie. Comment pouvez-vous faire ? Énormément d'économistes vous ont donné plein d'idées, mais elles sont contradictoires, et vous voulez repartir des bases, aussi vous vous replongez dans vos cours d'étudiant.

Vous y retrouvez qu'un gouvernement tenant à soutenir ou relancer l'économie de son pays n'a que deux choix possibles : soit une Politique de l'Offre, soit une Politique de la Demande. La première vise à aider les entreprises, notamment par la baisse des taxes et impôts et par la simplification administrative, en se basant sur ce qu'avait déjà remarqué Jean-Baptiste Say (France : 1767-1832) : "L'offre crée la demande". La seconde cherche à augmenter la demande, en finançant notamment des travaux publics par les taxes et impôts, et s'appuie sur ce qu'on appelle le "coefficient multiplicateur keynésien". Quelle orientation choisir ?

En regardant la presse des dernières décennies, vous vous apercevez vite que les camps sont très antinomiques : chacun accuse l'autre d'être discrédité, tout juste arrivez-vous à comprendre que si sur le long terme la politique de l'offre réussit mieux à enrichir les pays, il lui est reproché d'accroître les inégalités et d'être plus volatile, et qu'en conséquence l'histoire montre un basculement permanent d'une approche à l'autre.

Vous creusez un peu et remarquez que la théorie la plus célèbre, et la plus influente, du XX° siècle a été le Keynésianisme, de John Maynard Keynes, (UK : 1883-1946), qui est clairement du côté de la demande. En fait elle guide encore, peu ou prou, les politiques économiques de nombreux pays occidentaux. Et elle a plusieurs arguments pour elle.

Tout d'abord Keynes avait montré l'importance de son fameux coefficient multiplicateur : si l'État injecte de l'argent dans l'économie, celui-ci tournera et au final aura créé plus de valeur que le montant initialement investi, la seule condition est que les acteurs économiques n'épargnent pas trop cet apport. Et les effets sont impressionnants : si 80 % de l'argent circule, alors le coefficient multiplicateur est de 5, c’est-à-dire que 1 000 € investis rapportent 5 000 € ! Mieux : vous pouvez utiliser les impôts pour contrôler la gestion des entreprises en décidant de ce qui est, ou pas, déductible. Cela vous semble logique : si les bénéfices sont taxés à 50 % et que certaines dépenses sont intégralement déductibles des impôts, alors celles-ci sont payées à moitié par ces derniers. Augmenter les impôts sur les bénéfices tout en créant des possibilités de déduction va donc inciter les entreprises à dépenser, c’est-à-dire à faire vivre l'économie.

Mais voilà, vous creusez encore un peu et les faits apparaissent moins brillants que la théorie. Vous remarquez que nombreux économistes considèrent maintenant que la théorie de Keynes n'était applicable qu'à une situation très particulière (la crise de 1929) et ne l'est plus du tout. Il n'y a plus aucun accord sur la valeur du coefficient multiplicateur, celui-ci pouvant même être fréquemment inférieur à 1, c’est-à-dire à effet négatif sur l'économie. Vous remarquez aussi que c'est cette volonté de relancer la consommation qui a justifié après la première crise du pétrole (1973) l'utilisation dans plusieurs pays européens de l'immigration massive pour créer de la demande (logements, etc.) laquelle est financée par les taxes et impôts, ce qui n'était que de la subvention déguisée à certains secteurs aux dépends d'autres. Vous remarquez enfin que le développement de l'État Providence n'a réussi qu'à créer un système résilient qui appauvrit une grande partie de la population, un véritable Marché de la pauvreté. Et puis une question vous taraude : si le coefficient multiplicateur est supérieur à 1, pourquoi les États ne parviennent-ils pas à rembourser leurs dettes ? Ça ne colle pas.

Devez-vous donc envisager une politique de l'offre ? Celle-ci semble beaucoup plus logique : vous aidez les entreprises à se développer, à elles de trouver des marchés, si elles n'y parviennent pas d'autres le feront à leur place, vous vous en lavez les mains.

Mais voilà, comment aider les entreprises ? Vous ne voyez que deux orientations possibles : soit vous les subventionnez ou financez la baisse de leurs impôts par une augmentation de la dette, ce qui pourrait être vu comme une autre forme de Keynésianisme avec tous ses effets négatifs, soit vous financez la baisse d'impôts par une réduction du train de vie de l'État. Cette dernière option avait très bien marché en Nouvelle Zélande où, après un court temps d'adaptation, l'économie s'était très fortement redressée, au bénéfice de toute la population.

Rien n'est parfait cependant. Le premier problème est qu'une telle politique risque d'augmenter les inégalités, ce qui fera hurler certains très vocaux qui les considèrent plus importantes que l'enrichissement général de la population. Et surtout, réduire l'importance de l'État n’est pas seulement réduire votre pouvoir, c’est aussi ouvrir la porte aux reproches de "n'avoir rien fait", vous risquez de perdre votre place, voire d’être critiqué pendant des générations, c’est arrivé à d’autres avant vous.

Alors, pour à la fois remonter l’économie et laisser une bonne image de votre action, que devez-vous faire ?

Philippe Gouillou

Références :

  • Le vrai marché de la pauvreté. Gouillou, Philippe. Evoweb. Dimanche 14 février 2016
  • Crovetto, T. (2020). Existe-t-il une limite à la création monétaire ? La Principauté, (199 - Novembre), 9.