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"Le premier dans ce village plutôt que le second à Rome."
Jules César

Vos préférences sont-elles absolues ou relatives ? Jugez-vous de la qualité d’une personne, d’un objet, ou d’un événement, de manière objective ou en comparaison avec les autres disponibles ?

La concurrence visible

Conroy-Beam et al. (2016) ont pu y répondre pour un choix qui nous engage profondément : celui du partenaire de couple. Pour ce faire, ils ont demandé à des personnes déjà en couple de pondérer l’importance de vingt-sept critères de choix d’un partenaire et de se noter eux-mêmes et de noter leurs partenaires sur ces critères.  Ils ont ainsi pu calculer pour chacun les notes globales pondérées correspondant réellement à leurs critères de choix et à ceux des autres : du fait des différences de pondérations, une personne pouvait être bien notée par une, et moins bien par une autre. Enfin, ils ont demandé à chacun de noter sa satisfaction de couple et cherché ce qui la déterminait. Ils ont trouvé que la note donnée au partenaire n’a que peu d’influence : sa correspondance avec l’idéal n’est que très peu corrélée avec la satisfaction de couple (0,06), et même le fait que le partenaire soit mieux noté que soi-même n’a pas beaucoup plus d’importance (0,11). En revanche, un critère a montré une forte corrélation négative (-0,53) : le nombre de personnes mieux notées que son partenaire. Ce n’est donc pas la qualité absolue de la personne avec qui on est en couple qui importe, mais sa valeur relative face à la concurrence. Le secret du bonheur n’est pas de se contenter de ce qu’on a, mais de ne pas être confronté à mieux.

Le choix d’un partenaire s’inscrit dans ce que les scientifiques appellent le "Marché de l’accouplement" ("Mating Market"). Le terme "marché" est à prendre dans son pur sens marketing : il s’agit bien d’un espace de "compétition" où chacun va essayer de se "vendre" et lutter contre la "concurrence" en augmentant sa "valeur perçue". Ce sont les mêmes termes que ceux qui remplissent les études marketing : les règles découvertes dans le marché de l’accouplement peuvent être appliquées dans les autres marchés.

Et, en effet, l’impact destructeur pour notre satisfaction de la visibilité de la concurrence est généralisable : quel que soit le produit que nous achetons, notre satisfaction dépendra de notre connaissance d’autres meilleurs, ou moins chers, et de ce qu’ont acheté les autres. Nos critères sont d’abord relatifs.

Mondialisation de l’information

Le problème est que, avec les médias et surtout Internet, la concurrence a acquis une extraordinaire visibilité. En nous offrant l’accès à l’information du monde entier, les outils technologiques n’ont pas fait qu’ouvrir notre esprit, ils ont surtout mondialisé la concurrence, avec les effets destructeurs attendus sur notre satisfaction. Nous ne sommes plus en compétition avec nos voisins, mais avec le monde entier, qui de plus n’est perçu qu’au travers de l’image déformée et amplifiée renvoyée par les médias. C’est l’explication du paradoxe du monde moderne : l’amélioration de nos conditions de vie ne nous a pas rendus plus heureux, au contraire.

Cette mondialisation de l’information a aussi eu une autre conséquence : elle a étendu le domaine de la concurrence. Comme indiqué dans le dernier Billet Éco (MBN 55), ce ne sont plus seulement les personnes et les produits qui sont en concurrence, mais les pays aussi doivent être attractifs pour réussir.

Le marketing de la Principauté

Le marché des pays rejoint celui de l’accouplement sur une autre caractéristique essentielle : chacun y est à la fois "acheteur" et "vendeur ". Si les produits en vente dans les supermarchés ne cherchent pas à sélectionner qui les achète, dès lors qu’il y met le prix, la situation est très différente dans les relations humaines où chacun est en position de choix. Les pays aussi veulent pouvoir choisir qui ils acceptent.

Au niveau international, la compétition se fait de plus en plus sur le "Capital Cognitif " : l’objectif de chaque pays est d’attirer suffisamment d’intellectuels et de créatifs pour pouvoir bénéficier des effets de superlinéarité (un doublement de certaines populations augmente de 15% la richesse de chacun, voir le Billet Éco 1). Rindermann et al. (2015) ont en effet confirmé une forte corrélation positive entre le niveau cognitif des tops 5% et la réussite économique d’un pays, et Caragliu & Nijkamp (2012) ont pu montrer que même à l’intérieur des pays il existe un lien direct entre la concentration de cerveaux et la réussite d’une région. L’exemple le plus célèbre en est bien sûr la Californie, avec notamment la Silicon Valley, qui est devenue le centre mondial de l’innovation et a pu, grâce à cela, dépasser la France en PIB. Certains pays cherchent à la rattrapper et ont déjà réussis à imposer leurs positionnements : Israël a su se vendre comme la "Startup Nation", Singapour se fait reconnaître comme la "Smart Nation", …

À Monaco, cet accroissement de la concurrence internationale est connu : l’attractivité y est un thème majeur et de nombreux efforts sont faits pour la favoriser. De grandes campagnes internationales ont pu faire connaître au monde les avantages du pays : sa localisation géographique entre mer et montagne, son climat, son histoire qui a permis la mise en place d’un système social libéral stable et sécurisé assurant une réussite économique enviable. Mais si les avantages absolus de la Principauté sont uniques, d’autres pays aussi font connaître leurs atouts et, comme l’ont montré Conroy-Beam et ses collègues, ce sont les critères relatifs qui comptent le plus.

La Sélection de la Reine Rouge

En 1871, dans "De l’autre côté du miroir", Lewis Caroll fait dire à la Reine Rouge : "Ici, vois-tu, on est obligé de courir tant qu’on peut pour rester au même endroit. Si on veut aller ailleurs, il faut courir au moins deux fois plus vite que ça !" Leigh van Valen (1973) en a tiré une loi évolutionnaire générale : sur le long terme une proie ne peut pas survivre si elle court moins vite que son prédateur, un fournisseur ne peut se développer s’il se laisse dépasser par l’innovation, un pays ne peut réussir s’il se laisse distancer par la concurrence mondiale.

De plus en plus de pays se libéralisent et s’enrichissent, accroissent leur capital cognitif et investissent dans l’innovation. La Reine Rouge court de plus en plus vite et le monde entier autour d’elle : la Principauté n’a d’autre choix que d’accélérer avec elle.

Philippe GOUILLOU

PS: Tous les Billets Eco avec leurs références sont en ligne sur le site Fedem : www.fedem.mc/billets

  Références : Caragliu & Nijkamp (2012, DOI : 10.1080/00343404.2012.672726) ; Caroll (1871, ISBN : 978–2013228671) ; Conroy-Beam et al. (2016, DOI : 10.1016/j.evolhumbehav.2016.04.003) ; Conroy-Beam & Buss (2016, DOI : 10.1371/journal.pone.0156078) ; Dawkins (1976, ISBN : 273810391X) ; Fales et al. (2016, DOI : 10.1016/j.paid.2015.08.041) ; Li et al. (2013, DOI : 10.1037/a0033777) ; Rindermann et al. (2015, DOI : 10.1016/j.intell.2015.06.002) ; van Valen (1973) ; MBN n° 45, 46, 49, 55 ; Lettres Neuromonaco 38, 56, 44, 127

Sources

Articles

Bokek-Cohen, Y., Peres, Y., & Kanazawa, S. (2007). Rational Choice and Evolutionary Psychology as Explanations for Mate Selectivity. Journal of Social, Evolutionary, and Cultural Psychology, 2(2), 42–55. doi:10.1037/h0099356. PDF

Caragliu, A., & Nijkamp, P. (2012). Cognitive Capital and Islands of Innovation: The Lucas Growth Model from a Regional Perspective. Regional Studies, 3404(July 2014), 1–22. doi:10.1080/00343404.2012.672726

Caroll, L (1871). De l'autre côté du miroir. Livre de Poche Jeunesse. ISBN : 978-2013228671

Conroy-Beam, D., Goetz, C. D., & Buss, D. M. (2016). What Predicts Romantic Relationship Satisfaction and Mate Retention Intensity: Mate Preference Fulfillment or Mate Value Discrepancies? Evolution and Human Behavior. Elsevier B.V. doi:10.1016/j.evolhumbehav.2016.04.003

Conroy-Beam, D., & Buss, D. M. (2016). How Are Mate Preferences Linked with Actual Mate Selection? Tests of Mate Preference Integration Algorithms Using Computer Simulations and Actual Mating Couples. Plos One, 11(6), e0156078. doi:10.1371/journal.pone.0156078

Dawkins, R. (1976). Le gène égoïste. (Trad. : Laura Ovion, 1996). Odile Jacob. ISBN:273810391X

Fales, M. R., Frederick, D. A., Garcia, J. R., Gildersleeve, K. A., Haselton, M. G., & Fisher, H. E. (2016). Mating markets and bargaining hands: Mate preferences for attractiveness and resources in two national U.S. studies. Personality and Individual Differences, 88, 78–87. doi:10.1016/j.paid.2015.08.041

Li, N. P., Yong, J. C., Tov, W., Sng, O., Fletcher, G. J. O., Valentine, K. a, … Balliet, D. (2013). Mate preferences do predict attraction and choices in the early stages of mate selection. Journal of Personality and Social Psychology, 105(5), 757–76. doi:10.1037/a0033777

Rindermann, H., Kodila-Tedika, O., & Christainsen, G. (2015). Cognitive capital, good governance, and the wealth of nations. Intelligence, 51(57563), 98–108. doi:10.1016/j.intell.2015.06.002

Van Valen, L. (1973). A new evolutionary law. Evolutionary Theory. 1: 1-30. [PDF]

Geary, D. C. (2003). Hommes, femmes : L’évolution des différences sexuelles humaines. (P. Gouillou, Trans.) (1ère ed., p. 481). Bruxelles: De Boeck Université.

Liens