Vous vendez des produits. Un Politicien vient vous voir et vous déclame : “Votre activité est importante pour la nation, je tiens à la soutenir” et il vous en achète un à 100 €. Vous êtes content. Hélas, pas plus que le vôtre, l’argent du Politicien ne tombe pas du ciel, il lui faut le prélever quelque part. Aussi, il vous impose une nouvelle taxe de 100 €. Bilan de l’histoire : le Politicien peut clamer qu’il a soutenu l’industrie mais vous avez juste perdu un produit.

Bien sûr le truc est trop visible et on ne vous y reprendra plus : le Politicien ne pourra réaliser son tour de passe-passe que quelques fois, il serait trop vite découvert et jamais réélu. Mais il n’est pas idiot (il est Politicien) et affine sa méthode : ce n’est pas vous qui serez taxé, mais une autre activité, présentée comme moins importante, ou plus riche. Pour vous c’est tout bénéfice : vous avez vendu un produit payé par d’autres, l’État vous a aidé et soutient l’économie. Le problème est que vous n’êtes pas seul : le Politicien a fait la même promesse à beaucoup de monde (il a besoin de voix), et nombre de ses concurrents en font exactement de même. Au final vous vous retrouvez avec la taxe de 100 €, la même que la précédente, sauf qu’on vous dit qu’elle est au bénéfice d’autres que vous.

Dans son dernier texte, publié en 1850, le grand économiste Frédéric Bastiat (1801–1850) avait détaillé ce sophisme. Il y invite à ne pas se restreindre à “ce qu’on voit” (la subvention) mais à aussi prendre en considération “ce qu’on ne voit pas” (la taxe fait que vous n’avez rien gagné), même si ce dernier apparaît difficile à détecter.

Le problème est en effet que certains croiront justifier le deuxième exemple ci-dessus. Ils diront notamment que même s’il y a équilibre global, chacun gagnant autant qu’il paie (si on laisse de côté les sommes prélevées par les intermédiaires), le système de taxes et de subventions aura permis de “faire tourner l’économie”, ce qui serait un bien pour tout le monde. Mais Bastiat montre que c’est faux : sans ce système complexe, vous auriez utilisé l’argent gagné de la vente à autre chose que subventionner les activités favorisées par les Politiciens, vous auriez pu investir selon votre intérêt. Votre argent aurait lui aussi fait tourner l’économie, mais de la manière qui vous aurait été la plus utile, celle qui aurait le plus correspondu à vos besoins. L’échange taxes-subventions n’est pas un échange libre, un Jeu à somme positive (voir le Billet Éco 10) mais bien une spoliation, un Jeu à somme nulle voire négative : le bien-être de chacun n’y a rien gagné, le pays n’est pas devenu plus riche, au contraire.

Et les exemples en sont innombrables. Tel Politicien qui proposera une loi défendant telle ou telle catégorie de population n'en verra pas les externalités négatives. Celles-ci peuvent parfois être très difficiles à découvrir, mais même les plus évidentes apparaissent inaccessibles à certains. On peut prendre comme exemple la Commission d’État sur le Statut des Femmes d’Hawaii (Jabola-Carolus, 2020) qui demande que les femmes (lesquelles seraient les premières victimes du Covid–19 parce que ce sont les hommes qui en meurent) soient payées 50% de plus que les hommes pour le même poste, sans même pouvoir comprendre que ce surcoût inciterait les employeurs à ne pas recruter de femme.

A ce niveau, comment être étonné que des Politiciens puissent se vanter d’imposer des contraintes supplémentaires aux entrepreneurs sans en percevoir les effets destructeurs ? Frédéric Bastiat lui-même était très pessimiste quant à leur capacité à comprendre ce sophisme. Dans le même pamphlet (fin du chapitre III) il notait :

“Bon Dieu ! que de peine à prouver, en économie politique, que deux et deux font quatre  et, si vous y parvenez, on s’écrie : « c’est si clair, que c’en est ennuyeux. » — Puis on vote comme si vous n’aviez rien prouvé du tout.”

Il avait totalement raison : 170 ans après, l’actualité récente prouve que nous en sommes toujours là.

Philippe Gouillou

Références :