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C’est juste un travail. L’herbe pousse, les oiseaux volent, les vagues battent le sable. Je frappe les gens.
Mohamed Ali (1942-2016)

Employé, vous prenez une initiative qui va au-delà de vos attributions mais qui apporte un plus reconnu à votre entreprise. Hélas, au lieu de vous en récompenser par une prime ou une promotion, votre supérieur hiérarchique s’attribue votre succès en le présentant comme “la preuve qu’il sait manier les hommes”, vous réduisant au rang de pantin manipulé. Après une telle insulte, allez-vous de nouveau prendre une initiative ? Une faute de management aussi grossière n’a certes que peu de risques de se produire de nos jours, mais cela ne signifie pas qu’elle n’existe pas, et surtout d’autres, quoique moins visibles, provoquent ensemble d’énormes manques à gagner dans de nombreuses entreprises.

Quiet quitting

La question de la motivation des employés est revenue à la mode brièvement cet été par suite d’une très courte vidéo sur TikTok qui a fait connaître l’expression “Quiet quitting”, traduite par “Démission silencieuse”. Zaid K y affirme d’une voix douce ne plus se mettre en compétition au niveau de sa carrière mais privilégier d’autres domaines de sa vie, c’est-à-dire concrètement ne plus faire plus que ce pour quoi il est payé. On retrouve notre petite histoire, mais sans que le changement ait été provoqué par une faute de management.

Cette vidéo a connu un énorme buzz et a fortement inquiété : le monde de l’entreprise allait-il s’écrouler ? Certains y ont vu une caractéristique de la “Génération Z” (née entre 1997 et 2012), qui aurait "perdu la valeur travail”, voire une conséquence directe du confinement pendant la pandémie Covid–19, qui aurait "changé la relation au travail". Si l’analyse par génération apparaît limitée (Neuromonaco 74), l’âge étant plus influent (Neuromonaco 75), il a bien été constaté que la crise née des réactions à la pandémie a entraîné une orientation vers des stratégies d’histoire de vie rapide (“r” plutôt que “K” : voir Billet Eco 25), cette vidéo s’inscrit donc dans le "Changement d’ère" décrit dans le Billet Éco 34.

Mais le buzz est très vite retombé. Il a été en effet remarqué que faire ce pour quoi on est payé est la définition même d’un contrat de travail, et donc que cette “démission silencieuse” ne pouvait avoir aucun effet dans les sociétés bien gérées. Céline Pina l’a qualifiée de “tarte à la crème pour managers peu inspirés” (Causeur), et au final l’opinion s’est répandue que les managers ont juste ce qu’ils méritent.

Ce n’est pourtant pas si simple.

Surtout ne pas démotiver

C’est que le vrai changement avait déjà eu lieu depuis plusieurs décennies, quand la motivation intrinsèque avait pris le pas sur la motivation extrinsèque. L’automotivation, qui faisait peur auparavant, est maintenant devenue une nécessité. Hormis pour des postes d’exécution, de moins en moins nombreux parce que de plus en plus remplacés par des machines, l’entreprise doit compter sur l’intelligence et la créativité de ses employés pour s’adapter et se développer.

Cela signifie que le manager ne doit plus "manier" des troupes, mais au contraire de plus en plus assurer les conditions nécessaires pour que chacun puisse exprimer ce qu’il a en lui. C’est la dimension humaine (la psychologie) qui fait, de plus en plus, la réussite des entreprises. Par exemple, le Billet Eco 5 avait montré que la question de la rémunération doit être mise de côté, c’est-à-dire que l’employé doit être suffisamment rémunéré pour ne plus avoir à y penser. Des études, notamment chez Google (dont le Projet Aristote, 2015), ont permis de déterminer ce qui fait un bon leader (d’abord son empathie) et ce qui fait la réussite d’une équipe (d’abord la sécurité psychologique de ses membres). Et même les autres facteurs qui impactent la motivation du salarié sont généralement psychologiques. Il faut notamment qu’il y ait équilibre entre ses compétences et les tâches qui lui sont demandées : trop difficiles elles provoqueront un burnout, trop faciles un boreout (c’est le concept de "Flow" de Mihaly Csikszentmihalyi, 1990).

Or c’est à ce niveau psychologique que s’attaque la "démission silencieuse". Ce qui a fait le succès de la vidéo de Zaid K, c’est qu’il y décrit un changement de critères de dominance, c'est-à-dire un changement psychologique profond. Il n’y refuse pas le travail, il y affirme juste que la réussite professionnelle n’est plus un moteur de sa vie. Il s’extrait du jeu. Ce n’est pas nouveau (se rappeler la chanson "Quand t'es dans le désert" de Jean-Patrick Capdevielle en 1980) mais le message a résonné parce que la dimension psychologique fait de plus en plus la valeur ajoutée de l’employé.

Philippe Gouillou

Références : Billets Eco : 5 (MBN 49, Octobre 2014), 25 (MBN 69, Janvier 2020), et 34 (MBN 79, juillet 2022) ; Capdevielle (1980) ; Causeur (8 sept. 2022) ; Csikszentmihalyi (1990, ISBN : 978-0-06-154812-3) ; Google Rework (2015) ; Lettres Neuromonaco 74 (Neuromonaco, 3 juin 2013) et 75 (Neuromonaco, 10 juin 2013) ; Zaid K (Zaidleppelin, TikTok, 25 juil. 2022)

Photo : Gants de Mohamed Ali, National Museum of American History, Washington DC. Photo Mark Pellegrini. Licence CC-BY-SA-2.5 – Wikimedia Commons