"Dans tous les pays communistes autour du monde, l'histoire a toujours été la même : beaucoup d'œufs cassés, aucune omelette. Il n'y a pas d'exception."
Laurence Reed

Les mouvements anticapitalistes ont le vent en poupe : le capitalisme c'est le mal, il faut le détruire. Mais si cet objectif semble partagé par beaucoup, il pose un problème majeur : il faut d'abord définir ce qu'est le capitalisme si on veut pouvoir l'éradiquer efficacement.

Justement, un Anticapitaliste qui se trouve frustré et mécontent de sa situation de salarié va pouvoir l'apprendre. Il ne veut plus "servir le capitalisme" et décide de se mettre à son compte. Le patron maintenant c'est lui. Il ne part pas de rien : en plus de ses compétences et connaissances, il apporte ses économies, et même un stock de produits à vendre. Aussi, aidé d'un comptable, il met tout cela en forme.

Depuis le Quattrocento florentin, la comptabilité se fait "en partie double". Ce système, qui aurait été inventé en Égypte antique il y a 3 700 ans, se base sur le principe très simple des flux : tout ce qui arrive quelque part vient d'autre part. Grâce à lui notre Anticapitaliste pourra non seulement savoir combien il a en caisse, mais aussi combien il doit, quels sont ses stocks, et d'où tout cet argent provient. Pour cela, il lui suffit de distinguer chaque opération en indiquant pour chacune d'où vient l'argent (crédit) et où il va (débit). Il demande donc à son comptable de lui créer des comptes d'immobilisations (Classe 2), de stocks et d'en-cours (Classe 3), de tiers (Classe 4), et financiers (Classe 5), et d'y saisir toutes les sommes déjà connues.

L'avantage de la comptabilité en partie double est que la somme des débits est toujours égale à la somme des crédits : rien n'apparaît ex nihilo. Mais voilà, le comptable se trouve confronté à une difficulté : d'où provient tout ce qui a été apporté avant même le démarrage de l'activité ? Il lui faut trouver un compte où saisir la contrepartie, une sorte d'origine du monde. Heureusement ce compte existe : on l'appelle "Capital" (Classe 1), et c'est grâce à lui qu'il équilibre le bilan de départ.

Résultat : notre Anticapitaliste qui avait juste voulu se libérer de son patron est déjà propriétaire d'un capital…

La richesse ayant de forts pouvoirs thérapeutiques, il s'en remet assez vite : sa petite entreprise a trouvé sa clientèle, ce qui lui permet de se payer et même d'engranger des bénéfices, qui viennent grandir son capital. Il a maintenant une autre idée, plus ambitieuse, mais il ne pourra pas la faire seul, il lui faut s'associer avec un ami. Il va donc voir son comptable pour obtenir conseil. Celui-ci lui explique que c'est parfaitement possible et même prévu : au cours des siècles la loi a organisé le partage du capital avec toutes les garanties qu'il faut, ni lui ni son associé ne seront lésés. Mieux, ils peuvent même se constituer en "Société Anonyme", ce qui leur permettra de revendre leurs parts quand ils le souhaiteront, un lieu spécial (La Bourse), auquel ils auront accès quand leur entreprise sera suffisamment développée, étant entièrement dédié à ces échanges d’actions.

Ainsi fait-il et tout se passe pour le mieux. Notre Anticapitaliste qui a fait fortune est maintenant non seulement l'actionnaire majoritaire de son entreprise, mais aussi l'actionnaire plus ou moins minoritaire d'autres sociétés, soit parce qu'il voulait les aider à démarrer et était rentré dans leur capital de départ, soit parce qu'il estime qu'elles vont prendre de la valeur. Il suit d'ailleurs les blogs financiers avec assiduité pour mieux comprendre où placer son argent. Sa vie est belle.

Hélas, ses anciens camarades, qui eux ont toujours du mal à payer leurs factures, ont acquis un poids politique considérable, au point qu'ils prennent le pouvoir sur le slogan simple qu'il connaissait bien : "Détruire le capitalisme". Il sait maintenant qu’on ne peut pas supprimer le capital, que quoiqu'on fasse il y aura toujours une contrepartie ; à part renommer le compte autrement il ne voit pas ce qu'ils pourront faire.

Mais ses anciens amis avaient tout prévu. Arrivés au pouvoir ils expliquent que la destruction du capitalisme se fera de la manière la plus simple : dorénavant tout capital appartient à l'État, et une commission spéciale sera chargée de nommer des dirigeants pour toutes les entreprises. Plus aucun risque d'enrichissement, disent-ils, ce sera toujours l'État qui engrangera les bénéfices. Même s'il y a toujours un capital, il n'y a plus de capitalisme.

Notre ex-anticapitaliste est maintenant ruiné, il ne possède plus rien : un tout nouveau "Commissaire Politique" est venu exiger de lui tous les mots de passe liés à ses activités. Heureusement, grâce à ses engagements de jeunesse il lui est beaucoup pardonné : il n'aura pas à subir un stage en camp de rééducation mais pourra continuer de travailler dans son entreprise, au salaire minimum vital. Il faudra juste que, sans qu'il ait le moindre pouvoir de décision, celle-ci continue de faire autant de bénéfices.

Cette petite histoire fera rêver beaucoup d'anticapitalistes, qui sont persuadés que notre héros du jour mettra autant d'entrain à travailler pour l'État qu'il en mettait pour s'enrichir. Ils pensent que, grâce à la vision prospective des dirigeants, ils créeront un monde qui sera plus juste parce que sans concurrence, il leur suffira d'éduquer le peuple, lui apprendre à se contenter de ce qu'il peut avoir.

Depuis 1917, l'Histoire a cruellement montré que ça ne marche pas : non seulement l'économie dirigée n'enrichit pas, mais elle mène systématiquement, mécaniquement, à la pauvreté et à la famine. La vieille blague (1971c) prévenant que les communistes finiraient par devoir importer du sable au Sahara a tragiquement été confirmée en Algérie (qui importe du sable d'Espagne) et au Venezuela (le pays ayant les plus grandes réserves de pétrole du monde est obligé d'en importer). Et ce n'est pas du tout ou rien, il suffit d'un peu : toute limitation de la liberté individuelle d'organiser le capital appauvrit le pays au point que statistiquement le degré de liberté économique d'un pays est le deuxième prédicteur de sa richesse (le premier est son QI moyen).

Le capitalisme, c'est l'organisation de la propriété individuelle du capital, lequel existe quoiqu'on fasse. "Lutter contre le capitalisme" n'est donc pas lutter contre le capital, mais juste le donner à des oligarques en supprimant la liberté individuelle. Avec des effets meurtriers.

Philippe Gouillou

Références :

Photo : Singapour